Millenium : Ce qui ne me tue pas ★☆☆☆

Lisbeth Salander est de retour. La cyberpunk est recrutée pour remettre la main sur un logiciel permettant de contrôler l’accès aux sites de lancement d’armes nucléaires. Mais elle n’est pas la seule sur le coup : le NSA est de la partie ainsi qu’un mystérieux gang de mercenaires.
L’enquête oblige Lisbeth à se confronter à son passé : un père toxique et une sœur aussi blonde qu’elle est brune.

On sait que Stieg Larsson avait écrit une trilogie publiée après sa mort en 2004 et devenue populaire dans le monde entier. Ses ayants-droits ont confié à David Lagercrantz le soin d’en écrire la suite. Un quatrième tome est sorti en 2015. Publié sous le titre suédois Det som inte dödar oss (littéralement « Ce qui ne me tue pas »), bizarrement traduit en anglais The Girl in the Spider’s Web, le roman traduit en trente-huit langues connut un succès mondial que ne parvint pas à altérer les procès en paternité des fans les plus irréductibles de Stieg Larsson.

L’Urugayen Fede Alvarez, qui s’est fait une réputation en signant quelques films d’horreur pour adolescents boutonneux, a été recruté pour en signer l’adaptation. Il peine à faire oublier les quatre films précédents : les trois suédois directement inspirés de la trilogie avec Noomi Rapace dans le rôle de Lisbeth Salander et le film de David Fincher (inspiré du premier roman) avec Rooney Mara. Sa seule qualité : Claire Foy dans le rôle principal qui est décidément l’actrice de l’année’ avec sa prestation dans The Crown puis dans les films de Steve Soderbergh (Paranoïa) et Damien Chazelle (First Man).

Cette version de Millenium louche ostensiblement vers James Bond depuis son générique qui reproduit les tocs et les tics des productions signées Albert R. Broccoli (j’adore ce nom !). Comme dans James Bond, le héros/l’héroïne est indestructible et vient à bout, par son intelligence et par sa force, des plus redoutables méchants au terme de combats épiques filmés dans des décors à couper le souffle. Comme dans James Bond – et comme dans Mission Impossible ou Jason Bourne – on multiplie les gadgets électroniques et on voit défiler entre les bras du personnage principal quelques sylphides donzelles dénudées. Car Lisbeth Salander est une héroïne de son temps : femme, bisexuelle, punk, maîtrisant comme une seconde peau les arcanes du www.

Mais l’intérêt de cette superproduction hollywoodienne tournée sur les bords enneigés de la Baltique s’arrête là. Si on ne s’ennuie pas une seconde, on oubliera sitôt sorti de la salle, ce divertissement sans profondeur. Et on redoute par avance la sortie du suivant, tiré du tome 5, qu’on ira voir si et seulement si Claire Foy accepte d’y jouer.

La bande-annonce

Un amour impossible ★★☆☆

Rachel (Virginie Effira) vient de coiffer la Sainte Catherine à Châteauroux à la fin des années cinquante. Elle rencontre Philippe (Niels Schneider), en tombe amoureuse, en attend bientôt un enfant. Mais Philippe ne veut ni l’épouser ni même reconnaître la petite Chantal.
Les années passent. Rachel élève seule sa fille mais est attachée à garder le contact avec son père qui s’est entre-temps marié. Chantal a une adolescence difficile, étouffe auprès de sa mère, fantasme un père d’autant plus merveilleux qu’il reste lointain.

Il est difficile d’aller voir le film de Catherine Corsini sans a priori. Qu’on ait lu ou pas le livre de Christine Angot qui en est l’adaptation, on n’est pas insensible à la romancière devenue célèbre grâce à sa participation à l’émission de télévision On n’est pas couché. Selon les cas, on admire son intelligence, ses froides colères ou on prend en grippe son intransigeance, ses obnubilations.

Autre préjugé : le livre lui-même publié en 2015, en lice pour les prix littéraires mais couronné par défaut seulement par le Prix Décembre. Un livre à la belle écriture. Plus classique moins provocateur que les précédents ouvrages de cette romancière de l’autofiction. Le film semble s’inscrire dans cette veine comme en attesterait sa bande-annonce : reconstitution impeccable de la province des années soixante, personnages romantiques à souhait parfaitement éclairés, costumés, maquillés, grande fresque s’étalant sur plusieurs décennies…

Et le film commence. Comme on l’espérait, il est porté par la grâce de ses acteurs. Viriginie Effira dans son virginal chemisier blanc est belle comme le jour. Niels Schneider avec ses cigarettes fumées à la chaîne, son sourire carnassier et ses bonnes manières est la séduction faite homme.

Mais, bientôt, du charme naît un malaise. Les deux personnages, aussi parfaitement interprétés soient-ils, sont trop manichéens. Virginie Effira incarne l’innocence prise au piège, la femme à la vie gâchée, la mère aveugle aux violences sournoises subies par sa fille. Niels Schneider est plus caricatural encore. Chacun de ses sourires cauteleux annonce la prochaine banderille qu’il plantera dans le cœur saignant de Rachel. Chacune de ses réparties est une escalade dans l’abjection. L’amant irresponsable se transformera bientôt en père pédophile. N’en jetez plus ; la coupe est pleine.

Et puis il y a une dernière demie-heure en forme d’épilogue. Chantal est désormais adulte ; Rachel est au crépuscule de sa vie. On craignait le pire en imaginant la radieuse Virginie Effira éhontément grimée pour jouer une septuagénaire. Au contraire, Un amour impossible atteint in extremis une justesse, une ambiguïté qui lui avaient jusqu’alors manqué.

Et boum ! Patatras ! Un face à face inutilement bavard entre la mère et la fille vient clore ce film qui venait juste de trouver son point d’équilibre. Tout est dit, expliqué, surligné. Pire : l’histoire individuelle de Rachel et Chantal devient le procès à charge intenté à une société paternaliste et capitaliste. Alors qu’on allait saluer la conversion de Christine Angot, on la retrouve sous son pire visage : péremptoire, vindicative, horripilante.

La bande-annonce

 

En liberté ! ★☆☆☆

Le capitaine de police Jean Santi (Vincent Elbaz) vient de mourir. Ses collègues, qui lui érigent une statue, et sa veuve Yvonne (Adèle Haenel) qui raconte à son fils ses faits d’armes glorieux pleurent le disparu. Mais la vérité est moins belle : Santi était un ripou. Yvonne est dévastée par cette révélation. Elle va tenter de racheter les fautes de son mari en portant assistance à Antoine (Pio Marmai) qu’il avait fait injustement incarcérer.

Avec son neuvième long métrage, Pierre Salvadori poursuit une œuvre entamée il y a un quart de siècle avec une comédie décalée et attachante réalisée avec trois acteurs trop tôt disparus : Jean Rochefort, Marie Trintignant et Guillaume Depardieu. Cible émouvante (1993) contenait déjà les ingrédients qui font l’originalité de En liberté ! : un sujet original, des personnages aussi drôles que dépressifs, des situations loufoques…

L’équilibre est délicat à trouver entre la comédie grasse et le drame sentimental. Pierre Salvadori y est parvenu quasiment à chaque coup, notamment dans … comme elle respire (1999), sans doute la meilleure prestation de Marie Trintignant dans le rôle d’une mythomane loufoque.

L’affiche de En liberté ! qui annonce fièrement « la comédie de l’année » voudrait nous faire croire que la recette fonctionne toujours. Une moitié de la salle s’y retrouvera qui rira aux éclats des gags décalés dans lesquels un scénario ébouriffant entraîne des acteurs tous parfaits au premier rang desquels Adèle Haenel bien sûr mais sans oublier Damien Bonnard qui la dévore avec des yeux de merlan frit.

Mais une autre ne marchera pas, qui aura déjà vu les meilleurs moments du film dans sa bande annonce et qui ne se ralliera jamais vraiment à une histoire trop tirée par les cheveux pour rester crédible. Hélas c’est à cette seconde moitié là que j’appartiens.

La bande-annonce

Les Chatouilles ★★★☆

Odette est une ravissante petite fille chérie par ses parents. Elle aime dessiner et rêve de devenir ballerine. Mais tout n’est pas rose dans l’enfance d’Odette aux prises avec un ami proche de ses parents, Gilbert, un pédophile.
Odette est devenue adulte. Elle entreprend une psychanalyse. Par la parole, elle met des mots sur ses maux. Par la danse, elle tente d’exorciser son traumatisme.

Andréa Bescond a été violée enfant par un ami de la famille. Danseuse professionnelle, elle a monté à Avignon un seule-en-scène (traduction désormais autorisée de one woman show) cathartique inspirée de son expérience traumatisante. C’est ce spectacle qu’elle porte à l’écran. Pour ce faire, elle s’est entourée de vedettes : Karin Viard dans le rôle de la mère, mélange terrifiant d’aveuglement irresponsable et de conformisme petit-bourgeois, Clovis Cornillac dans celui du père, bloc de rage impuissante, Pierre Deladonchamps dans celui du prédateur sexuel, qui présente tous les gages de la respectabilité, Carole Franck en thérapeute motivée.

Le risque était grand que Les Chatouilles se transforme en film à thèse sur la pédophilie. La façon dont le film a été vendu aux médias le laissait craindre. Mais Andréa Bescond et son coréalisateur Éric Metayer parviennent à éviter cet écueil. Ils y réussissent grâce au dispositif scénaristique sur lequel était construit le seul-en-scène : des chassés croisés  souvent comiques parfois surréalistes entre l’Odette adulte en cure psychanalytique et l’Odette enfant sidérée par son tourmenteur.

Le résultat réussit miraculeusement à trouver le juste équilibre entre exhibitionnisme autobiographique, tirelarmisme racoleur et plaidoyer vengeur. Une réussite.

La bande-annonce

Ouaga Girls ★☆☆☆

À Ouagadougou, au Centre féminin d’Initiation et d’Apprentissage aux Métiers (CFIAM), Bintou, Chantal et Dina s’initient à la profession de mécanicienne automobile. Theresa Traoré Dahlberg les a suivies durant leur (trans)formation.

Burkinabée par son père, suédoise par sa mère, la documentariste interroge la place des femmes au Burkina Faso en filmant une promotion d’une demie douzaine de jeunes filles qui se forment à un métier a priori masculin : la réparation automobile.

Sorti le 7 mars, la veille de la Journée internationale des femmes, Ouaga Girls raconte les difficultés de ces jeunes femmes à se trouver une place dans une société patriarcale. L’une aimerait chanter, l’autre a eu un enfant trop jeune. Chacune s’interroge sur son avenir.

Ouaga Girls n’est pas seulement un film féministe dont les héroïnes auraient pu indifféremment vivre dans n’importe quel pays d’Afrique à la situation interchangeable. C’est un film tourné en 2015 dans un pays en plein changement : le Burkina Faso qui, l’année d’avant avait renversé son président, et s’apprêtait, à l’occasion des élections présidentielles et législatives de novembre 2015 à embrasser un nouvel avenir constitutionnel. Le sujet n’est jamais traité de front. Mais il est l’arrière plan permanent (une émission de radio entendue chez le coiffeur, une affiche électorale entr’aperçue tandis qu’on suit une jeune fille en mobylette…) de Ouaga Girls.

Ce documentaire pudique a les défauts de ses qualités : les jeunes filles qu’il suit sont si timides, si effacées qu’on peine à s’attacher à elles. Dommage…

La bande-annonce

Le Pornographe ★★☆☆

Dans le Japon des années soixante en plein décollage économique, Monsieur Ogata tourne des films pornographiques qu’il revend sous le manteau. Il vit avec Haru, une veuve convaincue que son mari décédé s’est réincarné dans une carpe qu’elle a installée dans un immense aquarium au milieu de son salon. Haru a deux enfants : une fille Keiko, dont Ogata est secrètement amoureux et un fils, Kochi, qui file du mauvais coton.

Le Pornographe était inédit en France. C’est une œuvre de jeunesse de Shohei Imamura, qui n’était pas encore le réalisateur japonais révéré, titulaire de deux Palmes d’Or : La Ballade de Narayama (1983) et L’Anguille (1997).

Il s’agit d’une adaptation d’un roman de Akiyuki Nosaka publié trois ans plus tôt seulement, qui avait suscité le scandale. Scandale en raison de son héros, un être sans scrupule exerçant une profession en marge de la loi, vivant de la lubricité des acheteurs de ses films. Mais scandale aussi par le portrait en creux que Nosaka fait du Japon des années soixante, qui a profité de l’occupation américaine et de la guerre de Corée pour s’enrichir au risque d’y perdre son âme.

C’est cette seconde dimension que creuse Imamura. À la différence du roman, Ogata y est décrit comme un brave bougre, exerçant un métier comme un autre, sincèrement amoureux de Haru et combattant l’attirance qu’il nourrit pour sa belle-fille. Imamura est volontiers rousseauiste : son héros n’est pas corrompu ; c’est la société qui l’est, dont le film dénonce non sans humour les dérives qu’encourage l’aisance matérielle retrouvée après les années de privation de la guerre.

Le réalisateur reste très pudique, ne montre aucune nudité – à supposer que la morale et la censure de l’époque le lui eurent permis. Sa caméra filme à distance, à travers une fenêtre, un aquarium, pour maintenir une pudeur par rapport à ses personnages. Son cinéma, qui décrit les bas-fonds d’Osaka reste très naturaliste.

Le titre du film, sa jaquette racoleuse prêtent à confusion. Le Pornographe n’est pas un film érotique qui raconte la vie d’un érotomane. Comme son sous-titre, Introduction à l’anthropologie, le laisse entendre, il s’agit plutôt d’un film aux limites du documentaire, dans la veine de L’Histoire du Japon d’après-guerre racontée par une hôtesse de bar (1970), qu’il faut prendre pour ce qu’il est : une critique sociale non dépourvue d’humour d’une société en quête de boussole.

La bande-annonce

Suspiria ★☆☆☆

Susie Bannion (Dakota Johnson) a été élevée dans une famille Amish en Ohio. Elle la quitte pour Berlin où elle doit intégrer une prestigieuse école de danse. Sous la férule de madame Blanc (Tilda Swinton), les ballerines sont soumises à une discipline de fer. Certaines d’entre elles n’y résistent pas et disparaissent mystérieusement, telles Patricia (Chloë Grace Moretz) qui a trouvé refuge chez le docteur Klemperer.

C’est peu dire que le nouveau film de Luca Guadagnino était attendu avec impatience. Sa présentation à la Mostra de Venise a fait l’événement. Tout était réuni pour susciter l’envie. Le remake du film culte de Dario Argento. Une brochette d’artistes parmi les plus trendy du moment. Derrière la caméra le réalisateur de Call me by your name.

Le résultat ne laissera pas indifférent. Sorti lessivé de la salle après plus de deux heures trente, on criera au génie ou à l’imposture. On sera époustouflé par le culot d’une mise en scène qui s’autorise toutes les outrances, filme le Berlin gris des années soixante-dix, leste un film d’horreur de références à la Shoah et à la Fraction Armée Rouge, abandonne la linéarité du récit pour la fulgurance de quelques scènes de danse d’une beauté magnétique.

Ou bien on décrochera vite d’un film trop long, presqu’obèse, dont on ne comprend rien et, pire, dont on aura renoncé à y comprendre quelque chose, copie sans imagination du film démodé de Dario Argento dont on se demande quel écho il suscite quarante ans après sa sortie, surenchère de sang et de corps dénudés filmés avec complaisance, culminant dans un gigantesque sabbat de sorcières plus risible que véritablement impressionnant.

La bande-annonce

Mon tissu préféré ★☆☆☆

En mars 2011, la Syrie plonge inexorablement dans la guerre civile. Nahla vit dans un petit appartement de Damas avec sa mère et ses deux sœurs cadettes. Elle exerce un petit boulot dans un magasin de prêt-à-porter et rêve d’une autre vie. Sa mère a organisé pour elle un projet de mariage avec un compatriote expatrié aux États-Unis. Mais leur rencontre tourne au fiasco et le fiancé lui préfère sa sœur.
Pour s’évader, Nehla se réfugie chez une voisine, Madame Jiji, qui vient d’ouvrir une maison close.

Projeté à Cannes en mai dernier dans la section Un Certain regard, Mon tissu préféré est l’œuvre d’une réalisatrice syrienne, réfugiée en France depuis 2012, qui tente sans succès de traiter de front deux sujets.

Le premier est l’émancipation d’une jeune femme. Le second est la guerre civile qui déchire le pays. Le problème est que ces deux sujets ne résonnent guère. C’était d’ailleurs le défaut l’an passé de Une famille syrienne, huis clos théâtral qui mettait en scène plusieurs familles coincées dans un appartement sous les bombes. Que la tragédie que vit son pays puisse bouleverser la réalisatrice est légitime. Mais qu’elle en fasse l’arrière-plan obligé de son film, comme si taire ce contexte dramatique serait trahir ses origines, n’est pas indispensable.

Car que le film se déroule dans un pays au bord de la guerre civile ou pas ne change pas grand chose au trouble de Nahla. Elle vit les tourments, mille fois filmés, de la sortie de l’adolescence, de l’entrée dans l’âge adulte, de la découverte de la sexualité, du départ à la fois désiré et redouté du nid familial. D’ailleurs cette émancipation n’est pas surdéterminée par son milieu : on sait gré à Gaya Jiji de nous avoir évité les lieux communs sur la femme arabe et son asservissement. Ce qui advient à Nahla, qui vit tête nue dans une ville où le voile n’est pas de rigueur et n’est nullement contrainte à un mariage qu’elle ne veut pas, pourrait advenir à n’importe quelle jeune fille sous n’importe quelle latitude.

On en revient à Nahla et à ses émois. Ils sont étrangement inaboutis. C’est d’ailleurs peut-être une preuve d’authenticité. Sauf que cette authenticité passe mal. Son personnage, pas vraiment sympathique, ne suscite guère d’empathie ; ses atermoiements lassent bientôt. On ne sait pas où elle va. Du coup, on n’a guère envie d’y aller avec elle.

La bande-annonce

Bonjour ★★★☆

Dans la banlieue de Tokyo, à la fin des années cinquante, la modernité pénètre lentement quelques foyers. Minoru et Isamu sont frères. Ils regardent les matches de sumo sur la télévision de leurs voisins, un jeune couple occidentalisé. Ils réclament en vain à leurs parents, plus conservateurs, l’achat d’un appareil et décident de faire la grève de la parole pour l’obtenir.

À qui croirait – non sans motif – qu’Ozu a passé sa vie à tourner le même film, avec les mêmes acteurs, sur le même thème (la désagrégation du lien familial), sous les mêmes intitulés (Printemps précoce, Printemps tardif, Été précoce, Fin d’automne…), Bonjour bouleversera les préjugés. Quoiqu’il faille reconnaître que la patte du maitre japonais y soit immédiatement reconnaissable – même si la couleur lui donne une apparence plus moderne que ses précédents films. On y retrouve ses acteurs familiers : Chishu Ryu dans le rôle du père, Kuniko Miyake dans celui de la mère. On y retrouve ses plans millimétrés, filmés au ras du tatami dans lequel les plans s’enchâssent les uns dans les autres.

Mais le thème de Bonjour est plus léger que celui des autres films d’Ozu, plus graves, plus mélancoliques. Il n’en est pas pour autant inédit, Ozu reprenant en 1959 un sujet qu’il avait déjà traité en 1932 dans Gosses de Tokyo (les enfants y faisant non pas la grève de la parole- le film est muet – mais celle de la faim). Ozu choisit de faire de jeunes enfants les héros de son film. Il adopte un mode comique voire bouffon (les gamins sont volontiers pétomanes) qui lui est inhabituel. Mais il le fait avec la même élégance, avec la même délicatesse que celles qui caractérisent tous ses films. Même quand deux voisines se disputent – autour d’une tontine dont l’argent a été égaré – elles le font avec un respect mutuel qui tient la violence et la méchanceté à distance.

Bonjour est moins léger qu’il n’en a l’air. Il ne s’agit pas simplement de peindre les pitreries de jeunes bambins, aussi attendrissants soient-ils. Leur grève de la parole interroge notre façon de communiquer, d’échanger chaque jour avec nos voisins, nos collègues quelques paroles insignifiantes, sur la météo ou l’air du temps, des paroles qui valent moins par leur contenu que par leur seule existence, témoignage d’un lien social patiemment entretenu. La démonstration en est faite dans une scène finale où deux amoureux, trop timides pour se faire la confession de leur attraction mutuelle, flirtent en parlant de la pluie et du beau temps. Une scène toute en délicatesse.

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Coco ★★★★

La famille de Miguel a banni la musique pour se consacrer à la cordonnerie parce qu’un aïeul a abandonné l’arrière-grand-mère du jeune garçon pour aller tenter sa chance avec sa guitare. Mais Miguel n’accepte pas ce diktat. Il s’identifie au célèbre Ernesto de la Cruz, un musicien dont la mémoire est révérée, qu’il suspecte d’être son mystérieux arrière-grand-père.
Le jour de la fête des morts, le jeune Miguel se trouve bizarrement propulsé dans le royaume des morts. Il y retrouve toute sa famille, notamment son arrière-grand-mère Imelda qui accepte de le renvoyer dans le monde des vivants à condition que Miguel renonce à devenir musicien. Le jeune garçon s’y refuse et, accompagné d’Hector, un musicien malchanceux que l’oubli dont il est victime menace d’une disparition totale, part à la recherche d’Ernesto de la Cruz.

Coco est sorti depuis près d’un an dans les salles et y a connu un succès exceptionnel. Il a rapporté plus de 200 millions de dollars aux États-Unis et pas loin d’un milliard à travers le monde, ce qui en fait un des dessins animés les plus lucratifs de l’histoire. En France, avec 4.6 millions de spectateurs, il réalise le troisième box-office des films sortis en 2017 derrière Moi, moche et méchant 3 et Les Derniers Jedi (soupirs).

Un tel succès est mille fois mérité. Car Coco est une réussite absolue, d’ailleurs saluée par une critique quasi-unanime – seuls Nicolas Schaller à L’Obs et Jérémy Piette à Libération  osent émettre quelques réserves. Avec leur dix-neuvième film, les studios Pixar, rachetés en 2006 par Disney, semblent avoir atteint le sommet de leur art. Tout est parfait, de l’animation à la musique.

Au lieu de céder à la facilité d’une énième suite à leurs précédents succès, un Toy Story 4 ou un Monstres et Cie 3, Pixar/Disney choisit un thème nouveau, ancré dans la culture mexicaine : la fête des morts. Ce choix illustre un aspect de ce qu’il est convenu d’appeler la « mondialisation de la culture » : non pas la création ex nihilo d’un standard destiné à une diffusion mondiale mais l’utilisation d’une production locale (la pizza italienne, la samba brésilienne) re-formatée pour connaître une publicité universelle.

Mais ce qui touche le plus est le thème, aussi original que casse-gueule : la mort, traitée avec une délicatesse et une intelligence qui forcent l’admiration. Pas évident de choisir un tel thème pour un public enfantin et les adultes qui l’accompagnent qui pourraient légitimement s’en alarmer. Pourtant, Coco y réussit étonnamment grâce à une idée simple sans être simpliste : nos morts survivent dans un royaume parallèle grâce à l’affection que nous continuons à leur porter. L’idée fait d’une pierre deux coups : sublimer la peur de la mort et le culte de la famille, le second étant l’antidote au premier.

Sans doute, les esprits chagrins trouveront trop sucrée cette ode aux valeurs familiales. C’est hélas le biais systématique des productions Disney – comme en témoigne Les Indestructibles 2 qui allait sortir quelques mois plus tard. Mais reprocher à Disney de vanter la famille, c’est comme reprocher au synode de croire en Dieu. La famille est devenue aujourd’hui, aux États-Unis et dans le monde entier, la valeur suprême, la valeur refuge et quasiment la valeur unique. Tant pis. Tant mieux.

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