L’État sauvage ★☆☆☆

Alors que la guerre de sécession fait rage, une famille de colons français, négociants en parfums, est prise au piège de l’avancée des Nordistes au Missouri. Le père (Bruno Todeschini), qui a émancipé leur servante noire et l’a prise comme maîtresse, la mère (Constance Dollé, l’inoubliable Suzanne du Village français), confite en dévotion et leurs trois filles (Alice Isaaz, la cadette sulfureuse, Déborah François, plus garçonne, et Maryne Bertieaux, l’aînée écrasée par le chagrin de la mort de son fiancé et bientôt tuberculeuse) remettent leur sort entre les mains d’un mercenaire (le flamand Kevin Janssens) pour traverser les États-Unis et rejoindre en Californie le bateau qui les ramènera en France. C’est sans compter sur les embûches dressées sur leur chemin et sur une horde de cowboys lancés à leur poursuite.

La bande-annonce de L’État sauvage nous avait mis l’eau à la bouche. Ce n’est pas tous les jours que le cinéma français se frotte au genre du western – à la notable exception des Frères Sisters qui m’avait personnellement laissé sur ma faim. Ce n’est pas tous les jours qu’il le fait avec tant de moyens, reconstituant soigneusement la société sudiste dans une première partie digne de Autant en emporte le vent et filmant la suite dans des décors naturels à couper le souffle.

Hélas le genre est essoré et L’Etat sauvage ne peut que faire le constat désillusionné de cette impasse. Kelly Reichardt avait déjà en 2010 raconté dans La Dernière Piste l’interminable errance d’une famille de colons à travers les vastes étendues sauvages de l’Ouest américain. Les Frères Sisters bien sûr, mais aussi Hostiles, The Homesman, True Grit ou L’Assassinat de Jessie James par le lâche Robert Ford avaient tenté de ressusciter un genre ultra-référencé en le vidant de son manichéisme et en le lestant d’une noirceur parfois bien encombrante.

Malgré son ambition, son hyper-stylisation, sa musique, L’État sauvage se contente de répéter des situations déjà mille fois filmées : le chariot qui manque de verser dans un à-pic vertigineux, le cowboy fauché par une balle traîtresse tandis qu’il chevauche dans un sous-bois, l’assaut final du dernier carré de survivants résistant à la mitraille ennemie…
Il n’est pas jusqu’au féminisme dont il se revendique qui n’ait des airs de réchauffé : Natalie Portman était autrement plus convaincante dans Jane Got a Gun en 2016.

La bande-annonce

Lara Jenkins ★☆☆☆

Lara Jenkins (impressionnante Corinna Harfouch, une star en Allemagne quasiment inconnue de ce côté-ci du Rhin faute d’avoir tourné hors de son pays) a soixante ans aujourd’hui. C’est encore une femme belle et élégante. Mais une vie de frustration l’a coupée du monde. Un professeur de piano tyrannique lui a fait renoncer à sa passion quand elle était en âge de devenir soliste. Elle a pris un poste administratif à la mairie de Berlin qui ne lui a apporté aucune joie et où elle ne s’est fait aucun ami. Son mari a divorcé et a refait sa vie avec une compagne plus jeune. Son voisin lui fait la cour ; mais elle repousse obstinément ses avances. Son fils est devenu un grand pianiste et donne ce soir son premier concert.

Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme. Lara Jenkins a le rythme et l’élégance d’un court roman de Stefan Zweig.
Il en a aussi l’âpreté. Car Lara, l’héroïne, n’a rien de sympathique. Cette Prussienne glaciale et vipérine ne peut s’empêcher de décocher des piques autour d’elle et de repousser les mains qui lui sont tendues.

L’accumulation est lourde sinon lassante. D’autant que le scénario refuse toute facilité : aucun rayon de soleil ni happy end. On pense évidemment à La Pianiste, l’affreux roman de la prix Nobel autrichienne Elfriede Jelinek, adapté par Michael Haneke avec Isabelle Huppert, les perversions sexuelles et le sadisme de son personnage principal en moins.
Je n’avais pas aimé La Pianiste. Je n’ai guère plus apprécié Lara Jenkins qui m’a donné envie d’aller me pendre en sortant de la salle. Suicidaires s’abstenir !

La bande-annonce

Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes ★★★☆

Cyrille a trente ans et a repris, à la mort de sa mère, l’exploitation familiale. Il travaille du matin au soir, sans week-end, sans vacances. Il s’occupe patiemment de ses vaches, trait leur lait, baratte leur beurre. mais les revenus générés par leur vente ne suffisent pas à couvrir les dépenses occasionnées par le remboursement de l’emprunt contracté pour l’acquisition d’une unité de stabulation. Le redressement judiciaire a déjà été prononcé. Quand le documentariste Rodolphe Marconi s’installe chez Cyrille pendant quatre mois, la liquidation menace.

Plus la France s’urbanise, plus le cinéma français s’intéresse à ses agriculteurs. On n’a jamais vu autant de films ou de documentaires sur le monde paysan que ces dernières années. Et il ne s’agit pas de réalisations éphémères vouées à une obsolescence programmée, mais de surprenants succès populaires : Petit Paysan, huit nominations aux Césars 2018 et le prix du meilleur acteur pour Swann Arlaud, Au nom de la terre, près de deux millions de spectateurs et deux nominations aux prochains Césars, La Famille Bélier, Je vous trouve très beau… Sans parler des documentaires de Raymond Depardon (La Vie moderne, Profils paysans), d’Emmanuel Gras (Bovines) et d’Ariane Doublet (Les Terriens).

Le documentaire de Cyrille Marconi vient s’ajouter à cette énumération bien longue. Il n’a donc pas la fraîcheur de la nouveauté, braquant ses projecteurs sur une réalité déjà bien documentée : la misère économique et humaine des petits paysans.
Mais il le fait avec une telle délicatesse, avec une telle humanité qu’on aurait tort de l’ignorer.

On suit Cyrille pendant l’hiver et le printemps 2019. Le documentariste l’avait rencontré l’été précédent sur une plage de Charente. Il s’était étonné de voir un grand dadais rester au bord de l’eau et avait appris de lui qu’il ne savait pas nager. Les paysans n’ont guère de vacances et peu d’occasions d’apprendre à nager.

Cyrille est une personnalité attachante qui trime du matin au soir, arrondissant le salaire qu’il ne se verse pas en faisant le dimanche le service et la plonge du petit restaurant de la ville voisine. On découvre vite son homosexualité qu’il a bien du mal à vivre dans une ferme isolée au cœur de l’Auvergne et dans une maison qu’il partage avec un père qu’on devine homophobe. Cyrille était proche de sa mère qui vient de mourir et dont il fleurit régulièrement la tombe. Sa solitude est poignante.

La caméra de Rodolphe Marconi (qui avait signé il y a plus de dix ans un documentaire sur Karl Lagerfeld animé par la même bienveillance) n’esthétise pas la campagne bourbonnaise. Elle filme à hauteur d’homme les heures et les jours de la vie d’un paysan : un vêlage au forceps, la mort d’une bête que Cyrille avait vu naître et à laquelle il était attaché, l’arrivée d’un huissier qui menace de saisir sa voiture, le marché où il vend ses plaquettes de beurre trois euros pièce…

Cyrille est piégé dans des problèmes auxquels il ne trouve pas de solutions malgré l’aide bienveillante de deux bénévoles de l’association Solidarité paysanne. Aucune révolte, aucun désespoir de sa part. Il dit n’avoir jamais pensé au suicide, qui tue un paysan français tous les deux jours. S’il pleure, ce sont des larmes de fatigue plus que de chagrin.
Rodolphe Marconi relève le défi de signer un portrait intime mais pas impudique, bouleversant sans verser dans le sentimentalisme. Une réussite.

La bande-annonce

Une mère incroyable ★★☆☆

Silvia n’a pas la vie facile. Cette avocate de la classe moyenne supérieure colombienne vit et travaille à Bogota. Elle élève seule son fils unique, un gamin plein de vie âgé de cinq ans, dont elle a toujours tu l’identité du père. Elle s’occupe de sa vieille mère dont le cancer vient de rechuter laissant augurer une issue fatale. Elle est mise en cause dans son travail pour l’attribution illicite d’un marché public. Elle entame une liaison avec un journaliste ; mais sa mère, qui a toujours occupé une place exorbitante dans sa vie, manifeste sa désapprobation.

Une mère incroyable est le deuxième long métrage de Franco Lolli, un réalisateur colombien formé à la FEMIS. Il avait tourné en 2014 Gente de Bien qui avait été sélectionné à la Semaine de la critique à Cannes. Cinq ans plus tard, Une mère incroyable en a fait l’ouverture.

Une mère incroyable dresse un superbe portrait de femme magnifiquement interprété par Carolina Sanin. Une femme qui se bat sur tous les fronts. Au risque d’ailleurs de charger un peu trop la barque d’un scénario qui menace de prendre l’eau. En particulier, le film suit dans ses dernières semaines Leticia, la mère de Silvia, interprétée par la propre mère du réalisateur. On la voit hésiter à suivre la chimiothérapie qui lui est présentée comme une dernière planche de salut puis lentement dépérir. C’est déchirant. Ce l’est d’autant plus si on a accompagné des proches ou des amis dans de pareilles épreuves.

La bande-annonce

Dark Waters ★★★☆

Robert Bilott (Mark Ruffalo) est un avocat d’affaires dans une prestigieuse société d’avocats de Cincinnati spécialisée dans la défense des grands groupes industriels. Un paysan, proche de sa grand-mère, vient lui demander d’assurer sa défense : ses vaches meurent les unes après les autres et il suspecte la société DuPont d’avoir contaminé l’eau qu’elles boivent.
Commence pour l’avocat entêté une guérilla judiciaire contre l’un des plus grands groupes industriels au monde qui durera près de vingt ans.

Un homme. Seul. Face à l’Injustice.
Oui. Je devrais proposer mes services aux majors hollywoodiennes pour rédiger les trois mots qui barrent souvent leurs affiches. Ces trois là serviraient souvent : Mr Smith au Sénat, Du silence et des ombres, Révélations, Préjudice, etc. Leur variante « Une femme. Seule. contre l’injustice » aurait pu servir aussi pour illustrer Erin Brockovich – qui, dans sa version française a été affublée d’un sous-titre sursignifiant « Seule contre tous ». Les Américains aiment à opposer l’individu au « système ».

La formule n’en est pas moins efficace et elle fait mouche dans ce film inspiré de faits réels. Mark Ruffalo – qui l’a produit et qui y joue le rôle principal – y est, comme d’habitude, parfait. Il ballade sa silhouette de bouledogue dans le cinéma hollywoodien depuis une vingtaine d’années sans avoir atteint le statut de star qu’il mérite ; mais il réussit à chacune de ses apparitions à trouver le ton juste : Spotlight, Foxcatcher, Zodiac
Il est entouré d’une pléiade de seconds rôles efficaces : Anne Hathaway, dans le rôle ingrat de son épouse dévouée, Tim Robbins, son patron compréhensif, Bill Camp en paysan redneck, Bill Pullman qu’on n’avait plus vu depuis des lustres….

Dark Waters (les distributeurs français ont choisi de reprendre le titre original alors qu’en Espagne et au Portugal ils l’ont traduit par « Le Prix de la vérité » et en Allemagne par « La Vérité empoisonnée ») dure plus de deux heures. C’est long. Mais c’est le minimum syndical pour ce genre de films. La douleur humaine et l’entêtement ont besoin de temps pour se laisser appréhender.

La bande-annonce

Lettre à Franco ★☆☆☆

Juillet 1936. L’Espagne bascule dans la guerre civile. D’un côté le gouvernement de la IIème République ; de l’autre les militaires putschistes qui, après l’accident d’avion fatal de leur leader, le général Sanjurjo, se cherchent un nouveau chef
Le recteur de Salamanque, l’immense écrivain Miguel de Unanumo, est spontanément favorable aux putschistes en qui il voit le seul rempart contre le désordre qui menace la République. Mais les exactions menées par les fascistes vont progressivement l’obliger à réviser son jugement.

Lettre à Franco (Mientras Durre la Guerra dans son titre original qu’on pourrait traduire par « aussi longtemps que la guerre durera » et qui fait allusion au mandat temporaire confié au généralissime Franco) évoque un personnage peu connu de ce côté-ci des Pyrénées, l’écrivain Miguel de Unanumo. Poète, romancier, dramaturge, critique littéraire, philosophe, cet homme de lettres avait été limogé de son poste de recteur de l’université de Salamanque, l’une des plus prestigieuses du pays, en 1924 en raison de son hostilité à la monarchie. Rétabli dans ses fonctions en 1930 après un long exil, il appuya la création de la IIème République mais en critiqua les dérives. Il offrit au franquisme le socle de son idéologie : la défense de la civilisation chrétienne occidentale. Mais il s’érigea courageusement contre les nationalistes dans un discours demeuré célèbre (« Vous vaincrez mais vous ne convaincrez pas ») devant un public de phalangistes qui faillit le lyncher. Il dut sa survie à l’épouse de Franco mais n’échappa pas à une seconde destitution.

Ce sont ces quelques mois, de juillet à octobre 1936, que le film relate. La reconstitution historique est irréprochable. La caméra ne quitte pas le vieil homme qu’on voit sillonner la ville, penché sur sa canne, sinon pour raconter la lente ascension de Franco qui, sans se pousser du col, réussit à se faire porter par ses pairs à la tête de la junte militaire.

Le dilemme auquel Unanumo doit faire face n’est pas sans intérêt, le choix courageux qu’il prend sans grandeur. Mais la réalisation est si académique, le scénario si lisse qu’on peine à s’enflammer.

La bande-annonce

Le Cas Richard Jewell ★★★☆

En juillet 1996, à Atlanta qui s’apprête à accueillir les Jeux olympiques d’été, un attentat terroriste fait deux morts et près de deux cents blessés. Richard Jewell (Paul Walter Hauser), un simple agent de sécurité, devient vite un héros pour avoir découvert la bombe et évité que son explosion soit plus meurtrière encore. Mais bientôt, il devient le principal suspect du FBI.

À près de quatre vingt dix ans, Clint Eastwood n’a jamais été aussi fécond. Il ne se passe guère d’année sans que sorte un de ses films. On comprend ce qui l’a attiré dans l’histoire vraie de Richard Jewell et qui constituait déjà l’objet de ses précédents films : célébrer l’héroïsme individuel d’hommes ordinaires placés dans une situation extraordinaire.

Mais à la différence de Chesley Sullenberger, le pilote d’avion de Sully qui réussit à atterrir sur l’Hudson ou les trois Américains qui arrêtèrent le terroriste du Thalys dans Le 15h17 pour Paris, Richard Jewell est un héros ambigu. Obsédé par l’autorité, fasciné par les armes à feu, exagérément obèse, ce trentenaire qui vit encore chez sa mère n’a qu’une ambition : intégrer les forces de l’ordre.

Le film aurait pu être construit autour d’une énigme : le « héros » Richard Jewell a-t-il ou non posé la bombe qu’il a découverte ? Mais, ce suspense n’en est pas un. Le résumé officiel, toutes les critiques et le film lui-même ne font pas mystère de l’innocence de l’agent de sécurité.

Le « cas » Richard Jewell est ailleurs : il est dans la façon dont le Gouvernement et les médias – les « deux forces les plus puissantes au monde » contre lesquelles le malheureux Richard Jewell doit résister avec la seule aide de sa mère (Kathy Bates) et de son avocat (Sam Rockwell) – peuvent sciemment ternir l’aura d’un héros. Le hotissime Jon Hamm (le héros de Mad Men) incarne le premier, un agent du FBI qui se persuade à tort de la culpabilité de Richard Jewell, et la hotissime Olivia Wilde le second, une journaliste de la feuille de chou locale qui fit fuiter l’identité du suspect n° 1.

L’intérêt du film en est amoindri. Plutôt que de nous tenir en haleine autour de la résolution d’une enquête policière, comme l’avait fait avec une grande efficacité La Fille au bracelet, il déroule un discours convenu : des institutions liberticides et des médias hystérisés peuvent broyer les simples citoyens. Mais Clint Eastwood n’en reste pas moins un immense cinéaste, capable de raconter un récit, même convenu, sans jamais faire baisser la tension.

La bande-annonce

Tout peut changer, Et si les femmes comptaient à Hollywood ? ★☆☆☆

Les femmes sont discriminées au cinéma. Les postes de pouvoir dans l’industrie cinématographique, à la tête des studios, à la réalisation des films, à l’écriture des scénarios, sont monopolisés par les hommes. L’image projetée de la femme, vue à travers les yeux des hommes (le désormais fameux male gaze) est alternativement celle d’une putain ou d’une maman et n’offre pas aux jeunes filles un modèle valorisant. Les femmes sont souvent victimes de menaces ou de chantages sexuels comme l’a révélé le mouvement #metoo.

C’est l’ensemble de ces questions qu’évoque le documentaire de Tom Donahue qui s’organise autour d’interviews et de nombreuses images de films – qui, à leur corps défendant, illustrent la misogynie sous-jacente de Hollywood. Dans la forme, Tout peut changer est bien différent de Pygmalionnes, sorti un mois plus tôt sur les écrans (preuve s’il en était besoin que le sujet est d’une actualité brûlante). Lesté d’une envahissante musique, il n’évite pas les travers d’une inutile dramatisation. On aurait aimé plus de sobriété.

Le titre américain et sa traduction française renvoient deux messages différents. This changes everything (littéralement « ça change tout ») évoque les commentaires récurrents que tel film ou tel événement ont suscité, laissant augurer une changement radical. C’est ce qu’on a cru après Thelma et Louise, après l’Oscar de Kathryn Bigelow (qu’on regrette de ne pas voir interviewée), après le scandale #metoo… Le titre américain est cynique qui dénonce les faux espoirs d’une évolution qui tarde à se concrétiser.

Le titre français est plus positif, plus volontariste. Il est accompagné d’un sous-titre dont il faut renverser le sens. Il s’agit en effet tout à la fois de faire en sorte que les femmes comptent que de les compter. Telle est la démarche du centre de recherches créé par Geena Davis – l’égérie de Thelma et Louise – qui vise à documenter la sous-représentation numérique des femmes au cinéma en mesurant par exemple le nombre de films qu’elles ont réalisés ou – ce qui pose de redoutables défis méthodologiques – leur temps d’apparition à l’écran et la caractérisation de leurs personnages.

La démonstration est convaincante. Elle est presqu’écrasante. Tout peut changer est une oeuvre militante et qui n’hésite pas à se revendiquer comme telle. La cause qu’il défend est juste. Mais son propos est desservi par une rhétorique trop facile.

La bande-annonce

Des hommes ★☆☆☆

Les journalistes Alice Odiot et Jean-Robert Viallet, ont obtenu de l’administration pénitentiaire, non sans peine, après trois années de démarche, l’autorisation de tourner à l’intérieur de la prison des Baumettes près de Marseille. Pendant vingt-cinq jours, dans la touffeur de l’été, ils ont posé leur caméra dans le bâtiment B et y ont filmé « des hommes » enfermés pour des crimes de droit commun et des durées plus ou moins longues.

On ne compte plus les films se déroulant en milieu pénitentiaire : Un condamné à mort s’est échappé, Le Trou, Midnight Express, Les Évadés, Un prophète, Dog Pound, Ombline, La Taularde, Éperdument… sans parler de la série Prison Break.
En revanche, les documentaires qui en pénètrent les murs sont plus rares. La raison en est peut-être dans les difficultés d’obtenir les autorisations de tournage. Le documentariste Stéphane Mercurio lui a consacré trois films. J’avais vu en 2012 le deuxième À l’ombre de la République qui suivait le Commissaire général des lieux de privation de liberté dans ses inspections. Ressorti récemment sur les écrans, Titicut Follies a été tourné dans l’unité psychiatrique d’un hôpital militaire mais s’intéresse plus à la folie qu’à l’incarcération – ouvrant la voie aux documentaires de Raymond Depardon.

Aussi, Des hommes constitue-t-il une perle rare qui mérite qu’on s’y arrête. On attendait avec impatience de suivre les journalistes à l’intérieur des Baumettes, une des prisons les plus insalubres d’Europe, frissonnant par avance de l’état de délabrement qu’on y constaterait – et se demandant pourquoi l’administration avait accepté ce périlleux exercice de transparence. Son beau titre laissait augurer une oeuvre humaniste présentant des détenus à l’humanité bafouée.

« Une plongée saisissante et fascinante dans l’enfer des Baumettes » annonçait Télérama promettant tout à la fois de dévoiler « l’insalubrité inhumaine d’une prison paradoxalement mythique » d’esquisser « le portrait de détenus à la vie suspendue » et de dénoncer « un système judiciaire obtus ». Rien que ça…

On reste un peu sur sa faim. Des hommes refuse tout sensationnalisme et y réussit trop bien. Pas de témoignages chocs de prisonniers traumatisés, pas d’images dérangeantes de WC bouchés, pas de cris déchirants dans les coursives de la prison. Les détenus que l’on voit – et dont on suppose qu’ils ont donné l’autorisation d’être filmés – sont plutôt sympathiques. Les gardiens et l’encadrement le sont plus encore : on est face à des fonctionnaires accommodants bien loin de la caricature du maton sadique. La vie en prison est ennuyeuse et monotone. Odiot et Viallet ont l’honnêteté de la filmer sans lui donner un rythme et une tension qu’elle n’a pas.

La bande-annonce

Queen & Slim ★☆☆☆

Ils n’avaient rien en commun. Queen (Jodie Turner-Smith), avocate militante, célibattante en rupture de ban de sa famille et Slim (Daniel Kaluuya, acteur à la mode depuis le succès de Get Out), fils de pasteur, plus soucieux de s’intégrer à l’ordre établi qu’à le renverser. Ils se rencontrent via Tinder. Leur première soirée ensemble dans la neige sale de Cleveland aurait dû rester sans lendemain. Mais ils sont obligés de faire équipe après qu’une interpellation sur la voie publique par un policier raciste les aura obligés à partir en cavale ensemble. De l’Ohio à la Floride, en passant par la Nouvelle-Orléans, ils fuient la police qui les poursuit sans relâche tandis que la communauté afro-américaine, persuadée de leur innocence, prend fait et cause pour eux.

Il y a deux films dans Queen & Slim. Le premier, le plus banal, raconte la fuite de deux Bonnie and Clyde des temps modernes à travers les États Unis avec son lot prévisible de rebondissements attendus.
Le second, le plus original, décrit la transformation de ces deux fugitifs en couple mythique érigé en symbole par une communauté afro-américaine qui s’estime victime d’une violence d’État systémique.

On voit depuis quelques années se multiplier les films américains se saisissant à bras-le-corps de ce sujet : Sorry to Bother You, The Hate U Give, Selma, Detroit, Kings, Green Book, I am not your Negro, Moonlight… Que Spike Lee – qui fait figure de parrain de ce cinéma-là – ait été invité à présider le jury du prochain de festival de Cannes témoigne de la popularité de ce sujet-là.

On n’ouvrira pas ici le débat de savoir si cette colère est juste. Elle l’est. #blacklivesmatter dénonce les violences policières exercées sur les Noirs américains. Les marches suprémacistes de Charlottesville et les silences embarrassés du président Trump rappellent le vieux fond de racisme dont la majorité WASP est encore imprégnée.
Mais si cette colère est juste, ses modalités d’expression interrogent. Elles interrogent de ce côté-ci de l’Atlantique, en France où le Président de la République vient de consacrer un discours au danger du « séparatisme ».
Car les solutions que nous proposent tous ces films américains sur les violences faites aux Noirs convergent plutôt vers l’affirmation d’un Black Power musclé que vers la réinvention du pacte républicain.

On me reprochera de faire beaucoup de politique ce matin et d’oublier le cinéma. Je rétorquerai – même si c’est un peu facile – que le cinéma est politique.
Lorsque Melina Matsoukas (une réalisatrice venue du clip video qui avait filmé Beyonce, Rihanna, Lady Gaga, Katy Perry) héroïse ses personnages flamboyants, les transforme en icone pop et en martyrs emblématiques d’une cause, on peut la suivre. Ou pas…

La bande-annonce