Le Visiteur du futur ★☆☆☆

Le député Gilbert Alibert (Arnaud Ducret) est sur le point de signer avec la société chinoise Axomako un contrat autorisant la construction d’une centrale nucléaire. Sa fille, Alice (Enya Baroux) fait partie des écologistes qui tentent de s’opposer à ce projet. L’avenir lui donnera raison : mal conçue, la centrale explosera bientôt, entraînant une apocalypse nucléaire qui manquera détruire la planète.
Pour éviter cette issue fatale, trois aventuriers du futur essaient de remonter dans le temps pour changer le cours des événements. Mais leur entreprise se heurte à la vigilance de la « brigade temporelle » et de ses sbires augmentés.

J’apprends, sans jamais en avoir entendu parler jusqu’alors et a fortiori sans en avoir vu le moindre épisode, que Le Visiteur du futur était une web-série (chouette ! un nouveau mot !) lancée en 2009 dont les quatre saisons ont généré quarante-cinq millions de vues (ne me demandez pas de vous expliquer ce que je viens d’écrire ! je n’y comprends rien !).

Je ne sais pas s’il faut que je cesse de me faire plus bête que je ne suis et que je revienne à plus de sérieux pour donner mon avis sur le film que les créateurs de la web-série ont mis plus de sept ans à monter. Il s’agissait pour eux en même temps de récompenser les fans – dont je ne suis donc pas et au nom desquels je ne saurais m’exprimer – sans paumer tous ceux qui – comme moi – découvrent cet univers pour la première fois. Le pari est réussi : je n’ai à aucun moment senti qu’il me manquait des clés pour comprendre une histoire qui louche du côté de Terminator, de Retour vers le futur ou de Mad Max III en en distordant les codes.

J’en ai aimé, malgré mon âge sénescent, l’humour potache et régressif ; même si je n’ai pas autant hurlé de rire que mes bruyants et jeunes voisins (j’étais sans doute le plus vieux des spectateurs d’une salle pleine comme un œuf). Jetez un œil à la bande annonce pour en voir un échantillon et savoir immédiatement si ce genre-là est votre came.

Mais la pauvreté du scénario a constitué pour moi un obstacle insurmontable : cette histoire niaiseuse qui charrie quelques idées écologiques bien-pensantes (« Il faut protéger notre planète ») en inventant un conflit de génération entre un daron aux idées étroites – mais pas si étroites que ça quand même – et sa fille mignonne et engagée, devrait être interdite par les Conventions de Genève !

La bande-annonce

L’Origine du mal ★★☆☆

Une jeune femme (Laure Calamy), à l’existence précaire, travaille à la chaîne dans une poissonnerie industrielle du sud de la France. Elle perd son logement. Sa mère, qui l’a élevée seule, vient de mourir. Son amoureuse purge en prison une longue peine. Elle se résout à recontacter son père (Jacques Weber), un richissime homme d’affaires qui vit reclus dans son hôtel particulier sur l’île de Porquerolles. Diminué par une attaque, le vieillard antisémite et homophobe, portant toujours beau, est entouré d’un quatuor de femmes qui réserve à la nouvelle arrivante un accueil hostile : sa femme (Dominique Blanc), une diva droguée au télé-achat, sa fille (Dora Tillier) qui a repris les rênes de l’empire familial, sa petite fille (Céleste Brunquell), l’œil vissé derrière son appareil photo, sa domestique (Véronique Ruggia Saura)…

Quelqu’un ment nous dit l’affiche. Mais qui ? L’Origine du mal n’est pas un whodunit construit autour d’un crime et de sa résolution. Sa structure est moins familière et plus complexe. On découvre vite l’identité du dissimulateur comme on comprend ses motifs. L’enjeu du film se déplace pour savoir s’il parviendra à ses fins et comment. Le scénario révèle quelques jolis rebondissements. Il aurait pu s’achever au tribunal ou à l’hôpital ; mais il continue une demi-heure supplémentaire dont l’utilité scénaristique ne saute pas aux yeux.

Sébastien Marnier, qui avait déjà signé deux films épatants (Irréprochable avec Marina Foïs et L’Heure de la sortie avec Laurent Lafitte) prend un plaisir communicatif à créer autour de Jacques Weber un décor hitchcockien de serre exotique étouffante (la bande son du dernier plan est saturée de cris nocturnes d’une faune équatoriale). Dominique Blanc s’en donne à cœur joie dans un personnage qu’on n’imaginait plus voir à l’écran depuis Le Boulevard du crépuscule. En revanche, Céleste Brunquell, un des plus grands espoirs du jeune cinéma français, est sous-exploitée.

Mais c’est surtout Laure Calamy dont le talent explose. On avait pris l’habitude depuis Antoinette dans les Cévennes de la cantonner aux rôles de quadragénaire nature et marrante. Déjà dans À plein temps – sans doute l’un des meilleurs films de l’année – elle montrait son potentiel dramatique. Ici, elle joue un personnage border line, vénéneux, chabrolien à souhait. Une nouvelle corde à son registre décidément très large.

La bande-annonce

Tori et Lokita ★★★☆

Tori et Lokita sont deux mineurs subsahéliens immigrés en Belgique. Ils vivent dans un foyer, travaillent au noir dans une pizzeria et se rendent complices de petits trafics pour gagner un peu d’argent. Inséparables depuis qu’ils se sont rencontrés sur le bateau qui leur a fait traverser la Méditerranée, ils se font passer pour frère et sœur. Mais leur histoire ne tient pas devant les services de l’immigration qui, s’ils ont accepté de délivrer un titre de réfugié à Tori, le refusent à Lokita.
Pour obtenir de faux papiers et rester en Belgique auprès de Tori, Lokita est obligée d’accepter le travail que lui confient des trafiquants de drogue sans scrupule.

Depuis un quart de siècle les frères Dardenne nous livrent à intervalles réguliers des drames ciselés au scénario soigneusement écrit, au montage hyper efficace, mettant en scène des héros désespérés, damnés de la terre, filmés souvent de dos, caméra à l’épaule, confrontés à des dilemmes moraux insurmontables. Leur cinéma est encensé par la critique. Chacun de leurs films est sélectionné à Cannes et en repart couvert de gloire : deux Palmes d’Or (pour Rosetta en 1999 et L’Enfant en 2005), prix du scénario pour Le Silence de Lorna en 2008, Grand Prix pour Le Gamin au vélo en 2011, prix de la mise en scène pour Le Jeune Ahmed…. Tori et Lokita est reparti de Cannes en 2022 avec le prix du 75ème, inventé tout exprès pour les frères Dardenne.

Cette avalanche de récompenses peut susciter la lassitude sinon le soupçon. Cette constance à explorer la même veine peut être dénoncée comme l’épuisement d’un genre et l’incapacité à le renouveler. Murielle Joudet dans Le Monde, l’exprime à la perfection dan sa critique de Tori et Lokita : « C’est l’habituel marathon de la souffrance, un peu plus sombre que d’habitude. Consciemment, l’intention des cinéastes reste inchangée : ils veulent éveiller les consciences, faire que les spectateurs « éprouvent aussi un sentiment de révolte contre l’injustice qui règne dans nos sociétés ». Inconsciemment, la mise en scène articule tout autre chose : celle-ci ne provoque plus vraiment d’empathie face à deux héros excessivement sanctifiés, mais un effet de déréalisation face à la démultiplication des malheurs, au dépouillement des décors, et au pessimisme qui semble teinter la conscience politique des Dardenne. Ici, ce n’est pas la violence du monde qui s’acharne sur le noble duo, mais bien plutôt un engrenage scénaristique, reconnaissable au premier plan. »

La critique est pertinente. Elle n’en est pas moins injuste : reproche-t-on à une montre suisse de donner l’heure exacte ?
Certes, le cinéma des films Dardenne n’a pas changé et reproduit de film en film les mêmes recettes éprouvées. Mais il le fait avec une telle efficacité qu’on ne s’en lasse pas. Loin de céder à la facilité, les frères Dardenne, bientôt septuagénaires, filment toujours à l’os, en retirant de leurs scénarios tout ce qui n’y est pas indispensable. Leurs films dépassent rarement l’heure et demie (Tori et Lokita dure quatre-vingt-huit minutes) car ils n’ont pas besoin de plus pour produire leur effet et délivrer leurs messages.

Alors, oui : les frères Dardenne ne sont pas des optimistes benêts. Leurs films se terminent rarement par un happy ending œcuménique. Et Tori et Lokita n’y fera pas exception. Mais c’est peut-être parce que l’état du monde et celui des plus fragiles n’incitent guère à l’optimisme hélas.

Un seul bémol peut-être : la pauvreté de l’interprétation. Dans leurs films précédents, les frères Dardenne savaient s’entourer des meilleurs : Jérémie Renier, Olivier Gourmet, Cécile de France, Adèle Haenel, Marion Cotillard…. Depuis Le Jeune Ahmed, ils font tourner des quasi-inconnus qui n’en ont pas le talent.

La bande-annonce

Un beau matin ★★☆☆

Sandra (Léa Seydoux) est interprète trilingue français-anglais-allemand. Elle élève seule sa fille. Son père, Georg Kinsler (Pascal Greggory), ancien professeur de philo, est atteint d’une maladie dégénérative rare, le syndrome de Benson, qui rend impossible son maintien à domicile. Avec sa mère (Nicole Garcia) et sa sœur, Sandra va devoir organiser son placement en EHPAD et disposer de son impressionnante bibliothèque.

Qu’une réalisatrice aussi sensible que Mia Hansen-Løve (L’Avenir avec Isabelle Huppert, Maya, Bergman Island sans doute son film le plus abouti à ce jour) ait décidé d’évoquer la fin de vie d’un être cher avait tout pour séduire, même si le sujet est devenu ces temps derniers au cinéma un marronnier (Tout s’est bien passé, Falling, Supernova, The Father…). Sa bande-annonce m’avait donné l’eau à la bouche.

J’avoue une légère déception. La raison en est triple.

La première tient à Léa Seydoux. Sans aller jusqu’à provoquer chez moi la réaction épidermique que suscite une certaine actrice, je trouve que décidément son jeu est très pauvre et m’interroge sur son talent. Si en plus, elle accepte de s’enlaidir dans un jean hideux et avec une coupe à la garçonne, on passe la mesure.

La deuxième tient à la romance qui s’esquisse avec Clément (Melvil Poupaud), un astrophysicien ou un cosmo-chimiste qui n’a pour seul défaut que celui d’être marié et d’avoir beaucoup de mal à se détacher de sa femme. Outre que les atermoiements du bellâtre donnent le tournis (un jour je reste, l’autre je pars), cette histoire d’amour nous détourne du sujet du film : la sénilité de Georg et sa mort inéluctable.

La troisième tient précisément à la façon dont ce sujet-là est traité. Aucun blâme à adresser à Pascal Greggory dont la richesse et la finesse du jeu éclatent dans son incroyable interprétation, le regard vide, la démarche hésitante et le sourire aux lèvres du vieillard bienveillant qui, au lieu de râler sur son sort, s’excuse du tracas qu’il cause à ses proches et leur est reconnaissant du temps qu’ils lui consacrent. Mais une critique au scénario faiblard qui ne raconte pas grand chose des difficultés à trouver un établissement accueillant et de la culpabilité qui ronge ses proches à l’y abandonner. Point aveugle du récit : le décès inéluctable de Georg que le scénario n’a pas su comment traiter et que, lâchement, il préfère éviter en s’achevant avant terme en queue de poisson par un happy end aussi frustrant qu’improbable.

La bande-annonce

Simone, le voyage du siècle ★☆☆☆

La vie de Simone Veil (1927-2017) a traversé le siècle, ses épreuves et ses combats. Déportée à Auschwitz à seize ans à peine, elle y survit par miracle avec sa sœur aînée, mais y perd sa mère. Mariée à Antoine Veil, avec qui elle aura trois enfants, elle doit renoncer à devenir avocate et entre dans la magistrature. À l’administration pénitentiaire, elle se bat pour améliorer la condition des détenus. Elle entre au Gouvernement en 1974 et porte courageusement le projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse. En 1979, elle conduit la liste UDF aux élections européennes et devient la première femme à présider le Parlement européen. En 1993, elle revient aux Affaires sociales et prend la mesure de l’épidémie du Sida. À la fin de sa vie, adulée par les Français, elle entre à l’Académie française et écrit ses Mémoires.

Il y avait un risque fatal à statufier la figure intimidante de Simone Veil. Olivier Dahan, dont l’économie n’est pas la marque de fabrique, ne l’évite pas tout à fait. Son biopic, au sous-titre pontifiant, tombe souvent dans le piège de la grandiloquence. Il ramène toute la vie de Simone Veil sur l’événement traumatisant qui l’a fondée : sa déportation à Auschwitz, qui est filmée sans nous en épargner le moindre des passages obligés : le long périple en wagon à bestiaux bondé, l’arrivée nocturne au camp au milieu des SS, de leurs chiens et des kapos, le tri devant le portail sinistrement orné de la devise « Arbeit macht frei », la tonte humiliante, les appels interminables sous la pluie glacée, la vie sur les bat-flanc à disputer sa maigre nourriture aux rats, les cheminées qui crachent les cendres des gazés…
Le film passe beaucoup plus vite hélas sur le reste de la vie de Simone Veil, en particulier sur son combat pour l’avortement, expédié en deux coups de cuillère à pot, là encore en alignant les lieux communs : le célèbre discours à la tribune du Palais-Bourbon, la misogynie veule des autres députés, les lettres d’insulte, la sororité des femmes reconnaissantes à la ministre de leur avoir enfin donné le droit de disposer librement de leur corps…

La critique a été particulièrement prompte à dénoncer la maladresse de ce film boursouflé et bien-pensant – même si s’en prendre à la figure irréprochable de Simone Veil pouvait sembler a priori blasphématoire. Télérama s’en donne à cœur joie : « Une biographie de Simone Veil en sainte laïque qui, au fil de cent quarante minutes en paraissant le double, suscite une consternation plus ou moins rigolarde puis une franche colère ». Le Monde n’est guère plus tendre : « un art de la reconstitution et du jeu plâtreux, corseté, irrespirable, qui aurait davantage sa place au Musée Grévin qu’au cinéma ».

Au seul vu de la bande-annonce, tout pétri de préjugés que j’étais, je suis allé voir ce film en imaginant déjà avec une joie mauvaise le mal que j’en dirais. Mais l’honnêteté me l’interdit. Simone est moins mauvais que je l’avais pensé. Certes le maquillage imposé à Elsa Zylberstein est dérangeant. Mais la fraîcheur et l’énergie de Rebecca Marder qui interprète Simone jeune (on aura compris que Elsa Zylberstein interprète Simone vieille… oui… je sais… lamentable…. pardon….) le font presque oublier. Le montage qui joue à saute-moutons à travers les époques sans imposer au spectateur une interminable narration chronologique dynamise le spectacle. Et les vues ensoleillées de la baie de la Ciotat, du Bec de l’aigle et de la calanque de Figuerolles auront achevé de m’amadouer.

La bande-annonce

L’Innocent ★★★☆

Jeune veuf, Abel (Louis Garrel) est abasourdi d’apprendre que sa mère Sylvie (Anouk Grinberg), la soixantaine joyeusement frappée, a décidé d’épouser Michel (Roschdy Zem), un braqueur à qui elle donnait des cours de théâtre en prison. Si Michel, à sa libération, a promis de se ranger et propose à sa nouvelle épouse d’ouvrir une boutique de fleurs dans le Vieux Lyon, Abel et sa meilleure amie Clémence (Noémie Merlant) ont raison de suspecter anguille sous roche. Car bientôt Michel les entraîne dans la préparation d’un casse rocambolesque.

L’Innocent déboule sur les écrans, précédé d’une réputation flatteuse. Les critiques sont excellentes. La foule, dont on craignait qu’elle ait déserté les salles obscures, s’y presse pour aller le voir. Elle ne sera pas déçue : L’Innocent est une totale réussite.

Cette réussite, Louis Garrel la doit au scénario malin qu’il a co-écrit avec Tanguy Viel, le romancier à succès dont les livres exigeants publiés aux Editions de Minuit aiment raconter des intrigues complexes très cinématographiques.
Sa mise en place est lente sinon besogneuse. Il faut près d’une heure à L’Innocent pour poser le cadre de son intrigue et caractériser ses personnages. Mais le spectateur impatient sera bientôt récompensé par une scène d’anthologie que chaque critique, chaque interview du réalisateur évoque longuement : celle où Abel et Clémence doivent jouer une scène de ménage pour détourner l’attention du conducteur du camion rempli de caviar qu’Abel et un complice veulent dévaliser. Cette scène, où les deux protagonistes se révèlent l’un à l’autre leurs sentiments profonds, est un bijou de drôlerie, d’émotion et de dramaturgie.

Louis Garrel réunit autour de lui des acteurs exceptionnels. Lui ferait-on le procès de se mettre une fois encore en scène (comme il l’avait déjà fait dans les trois précédents films dont il avait signé la réalisation Les Deux Amis, L’Homme fidèle, La Croisade), on lui répondrait qu’il ne se donne pas le beau rôle. Au contraire. Son personnage est un veuf triste, un fils inquiet et protecteur que la moindre prise de risque tétanise. Ce sont les trois autres personnages qui dirigent l’action et la font subir à Abel : Sylvie interprétée par Anouk Grinberg que l’on pensait définitivement rangée des voitures, Michel, ce voyou élégant dont Roschdy Zem endosse avec un plaisir communicatif le veston en cuir des petites frappes, et Clémence. Noémie Merlant est éblouissante dans ce rôle. On le pressent dès la bande-annonce où elle crève l’écran (je ne me lasse pas de l’entendre répéter « Je veux draguer le chauffeur »). On le mesure dans le fameux face-à-face dans le restoroute – malgré les faux-raccords sur son maquillage.

Cerise sur le gâteau : Louis Garrel a habillé sa bande-annonce de tubes des années 80 joyeusement démodés, dont les dégueulandos sont restés gravés dans notre mémoire : Pour le plaisir de Herbert Léonard, Nuit magique de Catherine Lara, Une autre histoire de Gérard Blanc….

Mon meilleur ami, cinéphile aux goûts pointus (il vénère Ruben Östlund, Peter Greenaway ou Michael Hanneke et ne supporte pas Cédric Klapisch ou Michel Hazanavicius) est sorti de l’Escurial très déçu. Le film, à l’en croire, était mal joué. L’intrigue d’après lui manquait de crédibilité. Sa conclusion, accuse-t-il, était prévisible et téléphonée. Je comprends sa critique. Je reconnais que L’Innocent ne restera pas dans les annales et que la marque qu’il laissera sera vite effacée. Pour autant, je me refuse à bouder le plaisir jubilatoire que ce feel good movie fait naître au croisement du polar, de la comédie familiale et de la romance.

La bande-annonce

Butterfly Vision ★☆☆☆

Lilya (Rita Burkovska) est une jeune opératrice ukrainienne pilote de drone. Capturée par les séparatistes du Donbass, elle fait l’objet d’un échange de prisonniers et rentre à Kiev où l’attendent Tokha son époux, un ancien militaire comme elle, sa mère et ses anciens compagnons de lutte démobilisés. Malgré ses cauchemars récurrents, Lilya cache aux siens les viols qu’elle a subis et l’enfant qu’elle attend. Elle doit rapidement décider d’avorter ou pas.

Présenté à la sélection Un certain regard au dernier festival de Cannes, Butterfly Vision est le premier film d’un jeune réalisateur ukrainien. Il a pour thème le retour au foyer d’un ancien prisonnier de guerre après une captivité traumatisante. C’était celui de Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter) ou de Rambo. Une scène du premier m’avait marqué – sans parler évidemment de la roulette russe jouée par Christopher Walken : celle où Robert De Niro sort du taxi qui le ramène chez lui, voit sa maison pavoisée et ses amis qui l’y attendent pour célébrer son retour, mais se refuse à y rentrer. Elle m’avait dérouté à l’époque. Je ne comprenais pas comment on pouvait ne pas avoir envie de fêter sa libération avec les siens. La maturité – et la misanthropie – aidant, je la comprends mieux aujourd’hui.

L’invasion qu’a subie l’Ukraine a provoqué une telle indignation à travers le monde qu’elle a compliqué la réception des films ukrainiens, surtout lorsqu’ils ont la guerre pour objet. Comment ne pas les applaudir en solidarité avec les épreuves que ce peuple courageux traverse ? Comment s’autoriser la moindre réserve qui ne soit pas aussitôt interprétée comme un manque de soutien à la résistance ukrainienne voire un appui silencieux à l’agresseur russe honni ?

Butterfly Vision appelle d’autant moins de réserves qu’il a reçu des critiques unanimement positives et qu’il a l’honnêteté, à travers le personnage de Tokha et les choix qu’il fait, d’évoquer la face sombre du nationalisme ukrainien. Pour autant, je dois avouer honteusement que ce film ne m’a pas embarqué. Une fois qu’on a compris le traumatisme subi par son héroïne et pressenti la décision qu’elle va prendre, Butterfly Vision perd toute tension, tout suspens. Le fil du récit se détend. Si Lilya inspire de la sympathie et sa résilience de l’admiration, son histoire tristement banale et la façon dont elle se dénoue ne suscitent guère d’intérêt.

La bande-annonce

Les Harkis ★★☆☆

Les Harkis raconte la vie de 1959 à 1962 de ces hommes algériens qui se sont engagés sous le drapeau français avec la promesse que jamais la France ne les abandonnerait. À travers l’histoire de Salah, de Kaddour et de Djilali qui rejoignent la harka placée sous les ordres du lieutenant Pascal, on comprend le quotidien de ces supplétifs chargés des basses oeuvres de l’armée française. Quand la rumeur des négociations menées par le Gouvernement français avec le FLM s’ébruite, leur inquiétude sur leur sort croît. Quand la victoire des fellaghas et l’indépendance se dessinent, ils savent qu’aucun retour en arrière n’est pour eux possible. La seule issue est le départ en métropole avec leur famille. Mais la France a tôt fait d’oublier ses promesses et la détermination du seul lieutenant Pascal à les aider ne suffira pas.

Philippe Faucon est un réalisateur toulonnais qui a creusé depuis trente ans un sillon original dans le cinéma français. Son oeuvre peut se lire comme le portrait d’une France post-coloniale qui n’a jamais réussi à solder un passé qui ne passe pas. La guerre d’Algérie en constitue le point aveugle dont les repercussions continuent à travailler la communauté maghrébine installée en France et compliquent son intégration. Philippe Faucon a obtenu la consécration en 2015 avec le César du meilleur film pour Fatima. Mais ce film, qui est resté un semi-échec au box-office, ne lui a pas pour autant apporté la célébrité.

Les Harkis a deux qualités éminentes. La première est de lever le voile sur un pan oublié de notre histoire. Contrairement à un raccourci souvent répété, la guerre d’Algérie n’est pas la grande absente du cinéma français. Plusieurs films, plusieurs documentaires, et non des moindres, lui ont été consacrés : Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard, Avoir vingt ans dans les Aurés de René Vautier, La Guerre sans nom de Bertrand Tavernier, Mon Colonel de Laurent Herbiet… Philippe Faucon lui-même s’était déjà frotté au sujet en adaptant le bref récit de Claude Sales La Trahison. Pour autant, la guerre d’Algérie n’a pas laissé dans le cinéma français l’empreinte dont celle du Vietnam a marqué Hollywood.

La seconde est la méticulosité quasi documentaire avec laquelle Les Harkis radioscopie une panoplie de situations humaines. À travers les destins de Salah, de Kaddour, de Djelali, c’est un échantillon très représentatif des profils de ces hommes et des motifs pour lesquels ils s’engageaient qui est passé en revue : attachement sincère à la France et à l’Algérie française, réaction au crime barbare d’un frère par les fellaghas, nécessité économique de nourrir sa famille…. Ce souci sociologique poussé trop loin finit d’ailleurs par donner au film le ton un peu trop appliqué d’un essai de sciences politiques.

Le principal défaut du film est sa brièveté : une heure et vingt-deux minutes seulement pour une fresque qui aurait pu constituer la matière d’une série à épisodes. Les personnages y sont trop brièvement dessinés sans qu’on parvienne clairement à les identifier et a fortiori à s’y attacher. Le film se termine brutalement et a besoin de longs cartons explicatifs pour se clore, une autre page de la vie des harkis s’ouvrant après 1962, en Algérie ou en France.

Mais Les Harkis a un autre défaut. Il démontre, s’il en était besoin, que la France a en Algérie auprès de ces hommes doublement trahi sa parole. Elle l’a trahie en leur faisant miroiter une victoire sur les indépendantistes dont ils auraient pu partager les dividendes. Elle l’a trahie en leur promettant de les protéger dans la défaite alors qu’elle n’avait jamais eu l’intention ni les moyens de tous les rapatrier en métropole avec leurs familles.
La faute ne fait pas de doute. Mais, à elle seule, aussi grave soit-elle, elle peine à constituer le ressort dramatique de tout un film.

La bande-annonce

Ninjababy ★☆☆☆

Rakel a vingt-trois ans, des rêves plein la tête (devenir astronaute, garde-forestier ou dessinatrice de BD), une vie de bâton de chaise entre soirées copieusement arrosées et amants d’un soir, et un mal au bide qui se révèle bientôt, à sa plus grande stupéfaction, être un fœtus de six mois. Les délais légaux pour avorter sont largement passés. Que faire de ce bébé dont Rakel ne veut pas et qui déjà s’invite dans sa vie sous les traits d’un cocasse personnage de BD ? Le faire adopter par sa sœur qui essaie désespérément de concevoir ? responsabiliser son père génétique, un adulescent égocentrique ? Ou l’élever avec Mos, le professeur d’aïkido dont Rakel est en train de tomber amoureuse ?

Ninjababy nous vient de Norvège – un pays dont l’existence sur la planète cinéma se réduit hélas à un seul réalisateur connu, Joachim Trier (Oslo, 31 août, Julie (en 12 chapitres)…), et un seul acteur, Anders Danielsen Lie. Ninjababy est l’adaptation d’une bande dessinée – ou plutôt faut-il aujourd’hui écrire d’un roman graphique – de Inga Sætre publiée en 2011.

Ninjababy utilise la même technique que celle qu’on voit dans Tout le monde aime Jeanne – et qu’on trouvait déjà il y a près de quarante ans dans le clip iconique du groupe norvégien A-ha Take on Me où une lectrice charmée voyait le charmant garçon de la BD qu’elle lisait prendre vie : des images animées sont surajoutées aux plans filmés et ces personnages imaginaires dialoguent avec les acteurs bien réels. Un moyen graphiquement innovant et scénaristiquement malin de donner corps aux sentiments intérieurs des personnages sans recourir à la voix off.

Rakel incarne un personnage bien de son temps : une jeune femme indépendante qui ne veut pas que la fatalité lui impose un enfant qu’elle n’a pas souhaité. Rakel a ce mélange de dureté et de douceur (dans l’amour naissant qui se noue avec le timide Mos), d’égoïsme et d’altruisme (dans sa relation avec son bébé qu’elle ne veut pas abandonner à n’importe qui) qui la rend éminemment sympathique. Trop peut-être. Le thème de la grossesse non désirée a été si souvent traité au cinéma (4 mois, 3 semaines, 2 jours, Juno, Never Rarely Sometimes Always) qu’il ne surprend guère. Qu’il soit ici traité avec humour et tendresse, sur un mode comique qui dépare avec celui, plus grave sur lequel on le voit d’habitude abordé, ne suffit pas à lui donner beaucoup d’intérêt.

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Coup de théâtre ★★☆☆

En 1953, dans le West End à Londres, La Souricière, une pièce de théâtre écrite par Agatha Christie, fait un tabac. Un producteur américain en a acheté les droits. Le réalisateur américain (Adrien Brody) qui a traversé l’Atlantique pour travailler avec le metteur en scène anglais est sauvagement assassiné. Un inspecteur de police londonien porté sur la bouteille (Sam Rockwell) est chargé de l’enquête. Une jeune policière zélée mais inexpérimentée (Saoirse Ronan) le seconde.

On a vu tellement de whodunit (une si parfaite expression anglaise à laquelle n’existe aucune traduction adéquate) que le genre, avec ses personnages caricaturaux et ses scènes obligées est devenu indigeste, sauf à lui donner un sacré coup de jeune. Murder Party s’y était essayé en France début 2022 ; À couteaux tirés aux États-Unis fin 2019.

Coup de théâtre prend le parti réussi mais risqué de la mise en abyme. Il s’agit d’un whodunit dans un whodunit : une enquête policière pour élucider un crime commis dans le cadre de l’adaptation au théâtre – et potentiellement à l’écran – d’un roman policier. Une piste s’esquisse rapidement : une clause du contrat signé à Hollywood prévoyant que l’adaptation cinématographique ne pourrait être réalisée que six mois après la fin de l’exploitation, son producteur américain aurait tout intérêt à en interrompre les représentations. Mais, bien évidemment, cette piste est trop évidente pour être la bonne.

Coup de théâtre réussit à merveille à jouer avec les codes du genre. Il nous offre, comme nous nous y attendions, les mêmes ingrédients que ceux qu’on retrouve habituellement dans un whodunit : l’assassinat d’un des personnages, l’enquête confiée à un policier roué et sympathique, la réunion de tous les coupables potentiels pour un dénouement où sera révélée la culpabilité de l’un d’entre eux… Mais il le fait avec un second degré délicieux, comme s’il disait : « Je suis bien obligé de passer par là… mais mon film est plus malin qu’il n’en a l’air ».

L’exercice a ses limites. Coup de théâtre ne révolutionne pas l’histoire du cinéma. Mais il constitue un divertissement intelligent et a sa place dans l’histoire qu’on croyait achevée du whodunit.

La bande-annonce